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Trypodendron laeve présent en France

Les scolytes du genre Trypodendron comptent 13 espèces dans la région Holarctique. Ces espèces se distribuent sur une large gamme d’essences hôtes, résineux ou feuillus. L’omniprésence de T. lineatum (Olivier, 1795), donne une impression de banalité pour ce genre bien que certains représentants restent encore mal connus. C’est le cas de Trypodendron laeve Eggers, 1939 qui revient dans l’actualité depuis quelques années ce qui a permis de compléter sa distribution et de clarifier son indigénat en Europe.

Historique

Trypodendron laeve est décrit du Japon puis à quelques années d’écart, de Norvège sous le nom de T. piceum A. Strand, 1946 (synonymie : Wood 1989). Par suite d’une confusion, le nom T. proximum (Niijima, 1909) a été brièvement employé, une synonymie qui s’avéra incorrecte, T. proximum étant une bonne espèce, différente de T. laeve (Olenici et al. 2018). Ces imbroglios de dénomination et de synonymies, ainsi que la proximité morphologique de T. laeve avec T. lineatum pouvant facilement le faire passer pour une variante de coloration, ont eut pour effet son oubli dans beaucoup d’ouvrages de référence, dont la faune de France de Balachowsky (1949). Le résultat logique fut que ce scolyte est resté largement ignoré, y compris dans les pays nordiques où il a pourtant été décrit.

C’est Holzschuh (1990a) qui a remis en scène T. laeve en confirmant la synonymie établie par Wood (1989) et en publiant des critères fiables pour le séparer de T. lineatum. L’analyse de captures faites à l’aide de pièges à phéromones a confirmé la présence de T. laeve en Autriche, à bas niveau comparé à T. lineatum Holzschuh (1990b). L’impression que cette espèce puisse avoir été introduite depuis la Sibérie a dominé jusqu’aux analyses solides de Bußler et Schmidt (2008), Kirkendall et Faccoli (2010) ou encore Lukášová et al. (2012), qui toutes confirment que T. laeve est une relique glaciaire boréo-alpine distribuée des Alpes à l’Europe centrale et du nord, en Sibérie ainsi que dans le nord de la Chine jusqu’au Japon (Knížek 2011, Sweeney et al. 2016, Olenici et al. 2018). T. laeve étant présent en Suisse, nous attendions sa découverte dans les Alpes françaises, ce qui est chose faite grâce à un inventaire réalisé au cours de l’année 2022 dans le massif des Glières, en Haute-Savoie.

Contexte de capture de Trypodendron laeve dans la RBD de la Montagne des Frêtes (74) en 2022 : épicéas morts debout et cassés (le piège vitre est visible sur la chandelle d’épicéa)

Donnée nouvelle

Biologie

Dans les Alpes occidentales et les Carpates, T. laeve vit dans le bois mort de l’épicéa et du pin sylvestre. Il se rencontre en montagne, dans les forêts froides et, pour beaucoup de stations répertoriées en Allemagne et en Autriche, dans des forêts bien conservées et peu ou pas exploitées (Bußler et Schmidt 2008), ce qui est aussi le cas de notre découverte. Sa biologie a été bien étudiée (Kvamme 1988, Martikainen 2000, Lukášová et Holuša 2014, Olenici et al. 2018). Les adultes vivent seulement sur les arbres morts debout. Ils creusent le bois sur quelques cm pour installer leurs galeries dans l’aubier. Ils semblent hiverner sous les écorces.

Ils sont actifs très tôt au printemps avec un optimum pour les températures de 13°C. T. lineatum, qui partage les mêmes micro-habitats (les deux espèces sont régulièrement trouvées ensemble), possède une température optimale de 15°C et hiverne dans le sol ce qui retarde son envol. le décalage est de l’ordre d’une semaine entre les deux espèces selon les relevés de Kvamme (1988) et Martikainen (2000). La durée de vol de T. laeve est en revanche bien plus brève, de l’ordre de trois semaines. Ces éléments, régulièrement cités, seraient à relativiser car des résultats moins nets ont été obtenus par d’autres chercheurs (Öhrn et al. 2011, Lukášová et Holuša 2014). Il semble qu’une hausse rapide des températures printanières permette aux deux scolytes de débuter leurs vols simultanément.

Dans les pièges attractifs, T. laeve est nettement moins abondant que son homologue T. lineatum dont il ne représente que de 2% à 6% des effectifs. Cela en raison d’une sensibilité différentes aux odeurs des conifères. Dans notre station de Haute-Savoie, et avec un piégeage non attractif, son abondance représente 38 % de celle des T. lineatum. Enfin, en relation avec la préférence de T. laeve pour les forêts froides, les observations sont plus nombreuses dans les pièges placés à l’ombre en forêt que dans ceux placés en lisière ou au soleil (Öhrn et al. 2011).

Conclusion

La reconnaissance récente de la large distribution européenne de T. laeve, implique que beaucoup de travaux relatifs à T. lineatum concernent en fait les deux espèces.

La présence du discrêt T. laeve en France était attendue. Il est probable que d’autres spécimens existent dans les flacons de précédents inventaires et que cette espèce soit plus largement distribuée dans les Alpes françaises.

Fig. 1 – Mâles de Trypodendron laeve (gauche), Trypodendron lineatum (droite)

Clé d’identification

Pour identifier les Trypodendron de France, on pourra s’aider de la clé suivante, complétée d’après Lompe (2010) :

1.- Massue de l’antenne avec l’angle antérieur rendu pointu par un pinceau de soies. Élytres couvertes de soies courtes, jaune pâle sauf une bande noire le long des épipleures, 3e intervalle et suture surélevés, 2e intervalle déprimé. Pronotum entièrement noir… Trypodendron domesticum.

.- Massue arrondie. Élytres avec des soies éparses seulement sur la déclivité, jaunes rayées de noir ou entièrement noires, sans intervalle surélevé ou déprimé… 2.

2.- Élytres avec des stries de points forts et profonds, l’avant-dernier intervalle avec une petite rangée supplémentaire de points. La massue asymétrique, l’angle antérieur presque droit… Trypodendron signatum.

.- Élytres avec des stries bien définies mais composées de points fins et peu profonds, séparés par une micro-réticulation fine. La massue ovale ou sub-ovale… 3.

3.- Fémurs et tibias entièrement clairs. Pronotum clair ou sombre en avant et clair sur toute la base, moins transverse. Élytres claires avec une bande noire le long des épipleures et une bande noire de l’épaule à l’apex. Front du mâle régulièrement concave. Pièces internes du pénis comportant deux éléments terminés en crochet (Fig 2 – voir aussi Holzschuh 1990a). Massue ovale… Trypodendron lineatum.

.- Fémurs noirs, tibias assombris depuis leur base. Pronotum entièrement noir sauf une zone plus claire devant le scutellum, plus transverse. Élytres très sombres avec une bande noire le long des épipleures. Front du mâle avec une impression anguleuse nette au centre de la concavité. Pièces internes du pénis linéaires, sans éléments en forme de crochet (Fig 3 – voir aussi Holzschuh 1990a). Massue ovale (femelle) ou sub-ovale (mâle)… Trypodendron laeve.

Fig. 2 – Pièce interne de l’édéage de T. lineatum
Fig. 3 – Pièce interne de l’édéage de T. laeve

Remerciements

Cette étude a été financée par l’Office National des Forêts.

Les échantillonnages, en Réserve Biologique Dirigée, ont fait l’objet d’autorisations spécifiques.

Références

Balachowsky AS, 1949. Faune de France 50. Coléoptères, Scolytides. Paris: Paul Lechevalier, 320 pp.

Bußler H, Schmidt O, 2008. Remarks on the taxonomy, distribution and ecology of Trypodendron laeve Eggers, 1939 (Coleoptera: Scolytidae). Nachrichtenblatt der Bayerischen Entomologen, 57 (3/4): 62-65

Holzschuh C, 1990a. Ein neuer, gefährlicher Nutzholzborkenkäfer in Österreich. Forstschutz Aktuell, 3: 2.

Holzschuh C, 1990b. Ergebnisse von Untersuchungen über die Einschleppung von Borkenkäfern an Holzlagerund Umschlagplätzen. Forstschutz Aktuell, 5: 7–8.

Kirkendall LR, Faccoli M, 2010. Bark beetles and pinhole borers (Curculionidae, Scolytinae, Platypodinae) alien to Europe. ZooKeys, 56: 227–251. https://doi.org/10.3897/zookeys.56.529

Knížek M, 2011 Scolytinae. pp. 204-250, in Catalogue of Palearctic Coleoptera. Volume 7, Löbl I, Smetana A, Eds. Stenstrup: Apollo Books.

Kvamme T, 1988. Trypodendron piceum Strand (Col., Scolytidae): Flight period and response to synthetic pheromones. Fauna Norvegica Ser. B, 35 (2): 65-70.

Lompe A, 2010. Gattung: Trypodendron Stephens, 1830 (Xyloterus Erichson, 1836). Käfer Europas, http://coleonet.de/coleo/texte/trypodendron.htm

Lukášová K, Holuša J, 2014. Comparison of Trypodendron lineatum, T. domesticum and T. laeve (Coleoptera: Curculionidae) flight activity in Central Europe. Journal of Forest Science, 60 (9): 382-387.

Lukášová K, Knížek M, Holuša J, Čejka M, Kacprzyk M, 2012. Is the bark beetle Trypodendron laeve (Coleoptera: Curculionidae: Scolytinae) an alien pest in the Czech Republic and Poland? Polish Journal of Ecology, 60: 789–795.

Martikainen P, 2000. Flight period and ecology of Trypodendron proximum (Niijima) (Col., Scolytidae) in Finland. Journal of Applied Entomology, 124: 57-62. https://doi.org/10.1046/j.1439-0418.2000.00446.x

Öhrn P, Lindelöw Å, Långström B, 2011. Flight activity of the ambrosia beetles Trypodendron laeve and Trypodendron lineatum in relation to temperature in southern Sweden. pp. 86-90 in Biotic Risks and Climate Change in Forests. Delb H, Pontuali S, Eds.; Berichte Freiburger Forstliche Forschung volume 89, Freiburg: Forest Research Institute of Baden–Württemberg, Department of Forest Protection.

Olenici N, Duduman ML, Isaia G, Knížek M, Vasian I, 2018. Widespread Distribution of Trypodendron laeve in the Carpathian Mountains (Romania). Forests, 9 (6): 286. doi:10.3390/f9060286

Sweeney JD, Silk P, Grebennikov V, Mandelshtam M, 2016. Efficacy of semiochemical-baited traps for detection of Scolytinae species (Coleoptera: Curculionidae) in the Russian Far East. European Journal of Entomology, 113: 84-97. doi: 10.14411/eje.2016.010

Wood SL, 1989. Nomenclatural changes and new species of Scolytidae (Coleoptera), Part IV. Great Basin Naturalist, 49 (2): 167-185.

B. Dodelin 2 oct. 2022

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